Le lien entre l’humain et le chien est façonné depuis des millénaires par une communication hybride, mêlant gestes, intonations et regards. À l’heure où la compréhension mutuelle est cruciale, il devient essentiel de s’interroger sur l’influence des postures humaines et du langage corporel dans l’apprentissage et l’exécution des consignes par le chien. Cette relation complexe révèle à quel point le chien, compagnon fidèle et observateur attentif, est sensible aux signaux subtils émis par son interlocuteur humain.
La nature du langage corporel chez l’humain et le chien
Le langage corporel regroupe l’ensemble des gestes, postures, expressions faciales et mouvements qui accompagnent ou substituent la parole. Chez l’humain, il traduit souvent des émotions, des intentions ou des attitudes conscientes et inconscientes. Chez le chien, la perception de ces signaux est d’autant plus développée que l’espèce canine, domestiquée depuis plus de 15 000 ans, a évolué en étroite symbiose avec l’humain, adaptant sa compréhension aux codes humains.
Des chercheurs du CNRS, comme Florence Gaunet (Université Aix-Marseille), ont démontré dès 2006 que le chien domestique (Canis familiaris) était particulièrement sensible à la direction du regard et aux mouvements du corps humains lors d’expériences de résolution de problèmes et de demandes d’aide (Gaunet et al., 2006, Animal Cognition). D’autres études françaises, menées notamment par Gérard Leboucher à l’Université Paris Nanterre (2013), ont mis en évidence que les chiens utilisaient majoritairement le langage corporel pour décrypter les intentions humaines, bien avant de s’appuyer sur la parole.
L’humain communique donc avec son corps, parfois à son insu : une inclinaison du buste, un mouvement de bras ou un regard insistant peuvent suffire à guider ou à décourager l’animal. Le chien, pour sa part, est un véritable lecteur de ces signaux. Il scrute l’attitude globale de la personne, capte la cohérence entre le geste et la parole, et ajuste sa réponse en fonction des indices reçus.
L’importance des postures dans la transmission des consignes
1. La posture ouverte ou fermée
L’être humain, selon son intention et son état émotionnel, adopte des postures qui influencent directement la perception du chien. Une posture ouverte — bras détendus, buste légèrement penché vers l’avant, visage détendu — favorise la coopération et incite le chien à s’approcher. À l’inverse, une posture fermée — bras croisés, corps rigide, regard fuyant — peut être interprétée comme un manque d’engagement ou une marque de stress, réduisant la motivation du chien à obéir.
En 2015, une publication de l’équipe de Florence Gaunet a montré que les chiens répondaient plus rapidement à une consigne donnée par une personne adoptant une posture détendue et ouverte (Gaunet et al., 2015, European Journal of Neuroscience).
2. L’alignement corporel
Le positionnement du corps par rapport au chien est essentiel. Un éducateur positionné face à l’animal, en maintenant une posture stable, transmet de la clarté dans ses attentes. Un mouvement brusque ou un déplacement soudain peut, à l’opposé, semer la confusion ou déclencher une réaction d’évitement.
3. Le regard et l’expression faciale
Le regard est un vecteur puissant de communication. Chez le chien, un contact oculaire doux et constant favorise l’attention, tandis qu’un regard fuyant ou trop fixe peut créer un malaise. Les expressions faciales, telles que le sourire ou la neutralité bienveillante, rassurent le chien et l’encouragent à rester concentré.
Les travaux du laboratoire Ethos (Université de Rennes 1) dirigés par Dominique Grandjean (2018) ont établi que les chiens distinguent finement les expressions humaines, réagissant différemment selon la valence émotionnelle du visage de la personne.
La cohérence entre langage corporel et consigne verbale
Pour que le chien comprenne et exécute une consigne, la synchronisation entre la parole et le geste est primordiale. Un exemple classique : demander « Assis » tout en pointant le sol avec la main. Ce geste, associé au mot, renforce le message et facilite la compréhension de l’animal.
À l’inverse, une discordance entre le langage corporel et la consigne verbale peut troubler le chien. Si la personne demande « Reste » mais recule en même temps, le chien pourra percevoir un signal contradictoire, hésiter ou ignorer la demande. La cohérence et la répétition du signal sont donc essentielles à un apprentissage efficace.
L’influence des émotions humaines sur le chien
Le chien est capable de percevoir les états émotionnels de la personne à travers sa posture, sa respiration et même son rythme cardiaque. Une personne stressée, nerveuse ou en colère envoie, souvent malgré elle, des signaux corporels qui parasitent la transmission de la consigne. Le chien, animal empathique, pourra alors adopter un comportement d’évitement, se détourner de la tâche, ou manifester de la nervosité.
Les recherches menées par l’équipe de Clive Wynne en collaboration avec le Centre d’Études Biologiques de Chizé (France, 2019) illustrent à quel point le chien détecte l’élévation du niveau de stress chez l’humain, modifiant son propre comportement en retour.
À l’inverse, le calme, l’assurance et la bienveillance se traduisent par des gestes mesurés, une voix posée et une posture détendue. Le chien s’en trouve rassuré et plus enclin à coopérer.
Les signaux involontaires et leur impact
De nombreux signaux sont émis inconsciemment par l’humain : haussement d’épaules, soupir, tics nerveux, déplacement du poids d’un pied sur l’autre. Pour le chien, qui prête attention à la globalité du message, ces signaux peuvent perturber la compréhension. Une simple hésitation dans le mouvement ou une nervosité perceptible peut suffire à brouiller la consigne.
L’apprentissage par observation : le chien, expert du mimétisme
Des études françaises telles que le projet DogSens (CNRS, 2021) confirment la capacité des chiens à observer et à imiter certains comportements humains, surtout quand ils sont associés à une situation d’apprentissage répétée. Cet apprentissage social vient renforcer le rôle du langage corporel dans la transmission des consignes. Un éducateur qui répète consciencieusement les mêmes gestes pour chaque demande permet au chien d’associer plus rapidement le mouvement au résultat escompté.
Les différences individuelles : chaque chien, chaque humain
La sensibilité au langage corporel varie selon les individus. Certains chiens sont particulièrement attentifs aux micro-mouvements, d’autres privilégient la voix ou l’intonation. De même, chaque personne possède son propre style gestuel. L’essentiel est de développer une communication adaptée à la personnalité du duo, en observant les réactions de l’animal et en ajustant les signaux corporels au fil du temps.
Langage corporel et races canines : une question de prédispositions ?
Certaines races, sélectionnées pour le travail de coopération avec l’humain (bergers, retrievers, chiens d’assistance), se montrent particulièrement réceptives au langage corporel et aux postures. Leur histoire évolutive a affiné leur capacité à décoder les messages non verbaux. D’autres races, plus indépendantes, requièrent parfois une approche plus patiente, basée sur la répétition et la constance. Les travaux du vétérinaire comportementaliste français Joël Dehasse (2010) soulignent ces différences entre races.
Le rôle des gestes codifiés dans l’éducation canine
De nombreux éducateurs utilisent un système de gestes standardisés associés à chaque consigne (main levée pour « Stop », doigt pointé pour « Assis », paume ouverte pour « Viens »). Cette codification permet au chien de dépasser la barrière linguistique et de répondre rapidement, même en l’absence de la parole.
L’importance de la formation de l’humain
Un aspect souvent négligé dans l’éducation canine est la formation de la personne elle-même à l’art du langage corporel. Savoir contrôler ses gestes, adopter une posture cohérente et transmettre une émotion positive sont autant d’éléments qui facilitent la compréhension de l’animal.
En France, des structures comme l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort proposent depuis 2012 des ateliers axés sur la communication non verbale, permettant de prendre conscience de ses propres habitudes corporelles et d’ajuster ses signaux pour améliorer la coopération.
Conclusion : vers une communication plus harmonieuse
La compréhension des consignes par le chien ne repose pas uniquement sur les mots, mais s’appuie fondamentalement sur l’ensemble des signaux non verbaux émis par la personne. La prise de conscience et la maîtrise des postures et du langage corporel sont des clés pour une relation harmonieuse, fondée sur la confiance et la complicité.
Ainsi, chaque interaction entre humain et chien devient l’occasion d’explorer la richesse d’un dialogue silencieux, où le geste, le mouvement et la posture prennent toute leur importance. Améliorer cette communication, c’est ouvrir la voie à un partenariat où chacun, dans le respect de ses codes et de ses sensibilités, trouve sa place et s’épanouit pleinement.
Filippo Naso – Éducateur Canin - Méthode Zen Éducation Positive
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