Origines du mythe du chef de meute
L’idée selon laquelle il faudrait absolument être le « chef de meute » pour se faire respecter par son chien provient de théories anciennes sur le comportement des loups en captivité, notamment des observations réalisées dans les années 1930 et 1940 par Rudolf Schenkel (Université de Bâle, 1947). À l’époque, on pensait que les loups vivaient sous une hiérarchie stricte où un « alpha » dominait les autres membres du groupe. Ce modèle a été transposé à la relation humain-chien, suggérant que les chiens, descendants des loups, attendraient une domination similaire de la part de leur référent humain.
Remise en question du modèle dominant-dominé
Des recherches ultérieures ont toutefois remis en cause ce paradigme. En 1999, David Mech, biologiste spécialiste des loups, publie une étude majeure (« Alpha Status, Dominance, and Division of Labor in Wolf Packs », Canadian Journal of Zoology, 1999) qui démontre que la structure sociale des loups sauvages repose davantage sur une organisation familiale que sur une hiérarchie de domination. Les « alphas » sont en réalité les parents du groupe, et non des leaders obtenus par la force.
Concernant les chiens domestiques, plusieurs études ont montré que leur comportement social diffère de celui des loups et que la notion de « meute » appliquée à la relation humain-chien est inappropriée (Bradshaw, Blackwell & Casey, « Dominance in domestic dogs—useful construct or bad habit ? », Journal of Veterinary Behavior, 2009). Les chiens ont évolué pour vivre avec les humains et développer des interactions spécifiques à cette cohabitation.
Les méthodes éducatives modernes et la pratique de la domination
Malgré les avancées scientifiques, certaines éducatrices et certains éducateurs canins continuent encore aujourd’hui à employer des approches fondées sur la domination, parfois appelées méthodes « traditionnelles » ou « coercitives ». Ces pratiques incluent la punition physique, les corrections verbales sévères ou encore des gestes destinés à affirmer une position d’alpha (comme forcer le chien à se coucher sur le dos). Ces méthodes trouvent parfois leur origine dans la popularisation d’émissions ou de livres prônant une relation hiérarchique stricte.
Cependant, un consensus se dégage dans la littérature scientifique quant aux effets négatifs de ces techniques : Herron, Shofer & Reisner (« Survey of the use and outcome of confrontational and non-confrontational training methods in client-owned dogs showing undesired behaviors », Applied Animal Behaviour Science, 2009) ont montré que les chiens soumis à des méthodes dominantes présentent plus de comportements agressifs et de stress. De plus, Haverbeke et al. (Applied Animal Behaviour Science, 2008) ont observé que les chiens de travail formés par la coercition développent davantage de troubles du comportement que ceux formés par le renforcement positif.
Ma vision de l’éducation canine
En tant qu’éducateur canin, mes pratiques sont exclusivement fondées sur des méthodes positives et dans le respect total du chien. J’accorde une grande importance à la coopération, à la récompense et à la compréhension des besoins individuels de chaque animal afin de développer une relation harmonieuse et équilibrée.
L’emploi de techniques basées sur la domination peut donc non seulement nuire à la relation humain-chien, mais aussi compromettre le bien-être de l’animal. Les études actuelles recommandent plutôt des méthodes éducatives bienveillantes, axées sur la coopération, la récompense et la compréhension du chien.
Conclusion
Les données scientifiques actuelles montrent que le mythe du « chef de meute » dans la relation humain-chien ne repose pas sur des bases solides. Bien que certains éducateurs et éducatrices utilisent encore les anciennes méthodes de domination, les preuves démontrent qu’elles sont souvent préjudiciables au chien, générant stress, peur ou agressivité. Pour se faire respecter et bâtir une relation équilibrée, la compréhension, la constance et la bienveillance demeurent les piliers d’une éducation réussie. Dans cette optique, je privilégie systématiquement les approches positives qui favorisent le bien-être et le respect du chien.
Filippo Naso - Éducateur Canin
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