La cohabitation harmonieuse entre chiens repose sur une communication subtile qui échappe bien souvent à l’observation rapide des humains. Les chiens, êtres sociaux par excellence, se sont dotés d’un éventail impressionnant de signaux destinés à apaiser leurs congénères, désamorcer les tensions et entretenir la cohésion du groupe. Comprendre et analyser ces signaux d’apaisement et de communication subtile s’avère donc essentiel, tant pour prévenir les conflits que pour encourager des interactions sociales positives entre membres de l’espèce canine.
Les fondements de la communication canine
La communication chez le chien ne se limite nullement aux aboiements, grognements ou postures manifestes. Elle s’articule autour d’une multitude de micro-comportements, de postures corporelles et de signaux olfactifs, visuels et auditifs. Ces éléments, combinés, constituent un langage sophistiqué, hérité de l’évolution et affiné par l’expérience individuelle.
L’importance des signaux d’apaisement
Les signaux d’apaisement, théorisés notamment par la comportementaliste norvégienne Turid Rugaas, désignent un ensemble de comportements utilisés par les chiens pour apaiser une situation tendue, exprimer une intention pacifique ou éviter une agression. Loin d’être anecdotiques, ces signaux sont au cœur de la régulation sociale canine et participent à la prévention des conflits. En France, la vétérinaire comportementaliste Hélène Gateau (2013) et la professeure d’éthologie Martine Hausberger (1997) ont, par leurs travaux, souligné l’impact des signaux sociaux subtils dans la dynamique canine.
Typologie des signaux d’apaisement
Le détournement du regard : détourner la tête ou les yeux permet au chien de montrer à son interlocuteur qu’il n’a pas d’intention belliqueuse.
Le léchage de truffe : un bref passage de la langue sur le museau, souvent observé dans des contextes tendus, signale la volonté d’apaiser une tension (Gateau, 2013).
Le bâillement : utilisé pour évacuer le stress, il indique aussi à l’autre chien que l’on souhaite calmer la situation (Hausberger & Richard-Yris, 1996).
Le mouvement lent : ralentir ses gestes ou ses déplacements favorise la détente et évite de provoquer l’autre par une énergie trop brusque.
Le détournement du corps ou du flanc : offrir son profil ou tourner le dos indique une absence de menace et une ouverture à l’interaction pacifique (Gateau, 2013).
Le reniflement du sol : feindre de s’intéresser à une odeur permet de désamorcer une confrontation directe.
Le clignement des yeux : cligner doucement des yeux peut inviter à la détente et signaler une absence de défi.
L’immobilité soudaine : s’arrêter net permet de suspendre les tensions et d’attendre une réaction de l’autre.
La subtilité de l’interprétation
Il est primordial de rappeler que le contexte dans lequel ces signaux apparaissent joue un rôle majeur dans leur interprétation. Un bâillement peut signifier la fatigue, mais dans une situation sociale tendue, il sera porteur d’un message d’apaisement. L’observation attentive et la prise en compte de l’ensemble de la scène sont donc indispensables pour éviter les erreurs d’analyse (Richard-Yris & Hausberger, 1997).
Les signaux d’apaisement dans le quotidien
Au parc, à la maison ou lors de promenades, les chiens utilisent régulièrement ces signaux pour gérer leurs relations. Un chien qui s’approche d’un congénère en détournant la tête ou en ralentissant l’allure manifeste sa volonté d’engager une interaction paisible. À l’inverse, l’absence de signaux d’apaisement ou leur non-reconnaissance par un autre chien peut conduire à une escalade de la tension (Gateau, 2013).
Prévenir les conflits grâce à la reconnaissance des signaux d’apaisement
Rôle de l’humain dans la gestion des groupes de chiens :
Le rôle du personnel responsable (compagnon humain, éducateur, intervenant en comportement) est primordial dans la lecture et la prise en compte de ces signaux. En reconnaissant les indices précoces d’un inconfort ou d’une montée de tension, il est possible d’intervenir avant qu’un conflit n’éclate : modification de l’environnement, séparation temporaire, redirection de l’attention, etc. (Gateau, 2013).
Stratégies pour encourager les comportements sociaux positifs
Favoriser des rencontres calmes : privilégier des introductions progressives entre chiens, dans des espaces neutres, afin de permettre l’émission et la réception des signaux d’apaisement (Hausberger, 1997).
Encourager les interactions courtes et positives : éviter la surcharge émotionnelle et privilégier la qualité sur la quantité des échanges.
Intervenir avec discernement : laisser les chiens régler certains désaccords par eux-mêmes, tant qu’aucune agressivité manifeste n’apparaît, tout en restant vigilant·e en cas d’escalade (Gateau, 2013).
Éviter de renforcer des comportements de tension : ne pas punir systématiquement un chien qui grogne ou qui s’éloigne, car ces comportements sont aussi des moyens de communication non violents (Hausberger, 1997).
L’éducation et la socialisation comme piliers
Un chien bien socialisé et éduqué à la variété des contextes sociaux saura mieux utiliser et comprendre les signaux subtils de ses congénères. La socialisation précoce, dès le plus jeune âge, permet de développer une communication fluide et d’apprendre à gérer les conflits sans recours à l’agressivité (Richard-Yris, 1996 ; Hausberger, 1997).
L’importance de la cohérence humaine
L’intervention humaine doit respecter la communication canine, éviter les contradictions et favoriser la confiance. Il est essentiel de ne pas interrompre systématiquement les échanges entre chiens, sauf en cas de risque avéré, afin de ne pas inhiber leur capacité à s’autoréguler.
Les apports de l’éthologie et de la recherche scientifique
L’éthologie canine, discipline qui étudie le comportement des chiens dans leur environnement naturel ou social, a permis de mettre en lumière l’extrême complexité de leurs interactions. En France, les travaux de Martine Hausberger (Université de Rennes 1, 1997) et de Gérard Le Pape (INRA, 2002) illustrent la richesse du répertoire comportemental canin et la subtilité des échanges sociaux (Hausberger, 1997 ; Le Pape, 2002). Les études récentes soulignent l’importance des signaux d’apaisement, mais aussi la capacité d’apprentissage et d’adaptation des chiens en fonction des situations et des partenaires sociaux.
Vers une meilleure cohabitation interspécifique
La capacité à décoder et à respecter les signaux d’apaisement ne profite pas qu’aux relations entre chiens. Elle favorise aussi une meilleure compréhension entre humains et chiens, réduit les risques d’incident et améliore la qualité de vie de tous les membres du foyer. L’éducation du personnel à la lecture de ces signaux s’inscrit comme un outil essentiel de prévention et de bien-être (Gateau, 2013).
Conclusion
L’analyse des signaux d’apaisement et de la communication subtile entre chiens constitue une clé précieuse pour prévenir les conflits et encourager les comportements sociaux positifs. En portant attention à ces indices, en adaptant notre intervention et en favorisant la socialisation, nous contribuons à instaurer un climat harmonieux, respectueux des besoins et des modes d’expression propres à l’espèce canine. Observer, comprendre, respecter : telles sont les valeurs au cœur d’une cohabitation réussie avec nos compagnons à quatre pattes.
Références :
Gateau, H. (2013). Une vie de chien, comprendre nos compagnons à quatre pattes. Flammarion.
Hausberger, M. & Richard-Yris, M-A. (1996). Communication et organisation sociale chez le chien domestique. Revue de Médecine Vétérinaire, 147(6), 479-484.
Hausberger, M. (1997). Comportement social et communication chez le chien domestique. Université de Rennes 1.
Le Pape, G. (2002). Le comportement social du chien : régulation et communication. INRA Productions Animales, 15(3-4), 239-246.
Filippo Naso – Éducateur Canin - Méthode Zen Éducation Positive
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