Depuis des millénaires, le chien accompagne l’humain, non seulement comme partenaire de travail ou de chasse, mais aussi comme confident et compagnon privilégié. Cette proximité a favorisé le développement d’une relation unique, dans laquelle le chien semble doté d’une capacité singulière à percevoir et à répondre aux émotions humaines. Mais jusqu’où va réellement cette empathie attribuée aux chiens ? Les données scientifiques, notamment françaises, révèlent des éléments fascinants et parfois inattendus sur la nature et les limites de cette faculté.
Définition de l’empathie chez le chien
L’empathie, au sens strict, est la capacité à reconnaître, comprendre et parfois partager les émotions d’autrui. Chez l’humain, elle se divise en deux dimensions : l’empathie cognitive (comprendre ce que l’autre ressent) et l’empathie émotionnelle (ressentir une émotion en réponse à celle d’autrui). Chez le chien, la question de l’empathie se pose à travers la capacité à lire les indices émotionnels humains et à adapter son comportement en conséquence.
Les premiers travaux scientifiques en France
En France, l’étude de la sensibilité des chiens aux émotions humaines remonte aux années 1990. Le laboratoire d’éthologie du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Gif-sur-Yvette, dirigé par Florence Gaunet, a été pionnier dans ce domaine. Dès 1998, Gaunet met en évidence la capacité des chiens à détecter l’attention humaine via des signaux visuels, ouvrant la voie à des recherches plus fines sur la lecture émotionnelle.
Perception des émotions humaines : preuves expérimentales
Des expériences menées par l’équipe de Florence Gaunet et par celle de Carine Savalli Redigolo à l’Université Paris-Nanterre ont montré que les chiens savent faire la différence entre les expressions faciales humaines : sourire, colère, tristesse. En 2014, l’étude de Savalli Redigolo et collaborateurs (« Discrimination des expressions faciales émotionnelles humaines par le chien domestique ») a démontré que les chiens pouvaient associer une expression faciale à une émotion spécifique, et ajuster leur comportement en fonction de celle-ci. Par exemple, un chien confronté à un visage en colère réduit sa proximité, alors qu’il s’approche plus volontiers d’un visage souriant.
Capacité à reconnaître la voix et l’intonation
Le travail de Ludovic Sevin et de son équipe à l’Université de Lyon (2016) a mis en lumière la sensibilité des chiens à l’intonation vocale humaine. Par des tests utilisant des enregistrements audios, ils ont observé que les chiens étaient capables de distinguer des voix exprimant la joie, la peur ou la colère, et d’y réagir différemment, souvent en adoptant une posture cohérente avec l’émotion perçue.
Synchronisation émotionnelle et contagion affective
Un des phénomènes les plus intrigants observés dans la relation humain-chien est la synchronisation émotionnelle, dite aussi contagion émotionnelle. En 2017, une équipe menée par Valérie Dufour au laboratoire Éthos (Université de Rennes 1, CNRS) a publié une étude démontrant que les chiens vivant avec des humains anxieux ou stressés présentent, eux aussi, des niveaux de cortisol (l’hormone du stress) élevés. Ce phénomène de « contagion » biologique montre que le chien ne se contente pas d’observer : il éprouve une résonance émotionnelle mesurable face à l’état de son ou sa partenaire humain·e.
Empathie dirigée : comportement d’assistance face à une détresse humaine
Mais la perception suffit-elle à parler d’empathie ? Plusieurs chercheurs français, dont Aurélie Brunelle (Institut Jean Nicod, ENS Paris), ont travaillé sur la capacité des chiens à adopter un comportement prosocial. Dans une expérience menée en 2019, Brunelle a montré que des chiens étaient plus susceptibles d’ouvrir une porte pour accéder à leur gardien·ne pleurant que si celui ou celle-ci chantait ou riait. Ce comportement suggère que le chien perçoit la détresse et cherche activement à l’atténuer, ce qui s’apparente à une réponse empathique dirigée.
Limites de l’empathie canine : une projection humaine ?
La question des limites de l’empathie canine reste ouverte. Certaines études françaises rappellent qu’il ne faut pas confondre la lecture fine des signaux émotionnels humains et une véritable compréhension de la subjectivité humaine. En 2020, dans une publication du CNRS, le docteur Hugo Cousillas souligne que les chiens sont très habiles à détecter et à réagir à nos émotions, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils « comprennent » ces émotions de façon humaine. Une part importante de leur réaction relèverait de l’association entre stimulus et conséquence, plutôt que d’une empathie cognitive consciente.
Comparaison avec d’autres espèces domestiques
Les chiens surpassent largement les autres espèces domestiques dans la lecture des émotions humaines. À titre de comparaison, l’équipe d’Emmanuelle Pouydebat (Muséum national d’Histoire naturelle) a montré en 2015 que les chats, bien qu’ils vivent au contact des humains, sont nettement moins performants pour identifier les expressions faciales et vocales humaines. Cette spécificité du chien pourrait s’expliquer par des millénaires de sélection visant à renforcer la coopération et la communication entre les deux espèces.
Applications pratiques : chiens d’assistance et médiation
L’empathie canine constitue la base d’applications sociales majeures, notamment dans le domaine des chiens d’assistance. Des chercheurs comme Séverine Pillard (CHRU de Montpellier, 2021) ont documenté l’impact positif de l’empathie présumée du chien sur les personnes atteintes de troubles du spectre autistique ou d’anxiété. Les chiens sont capables de détecter les montées d’émotions et d’intervenir de façon proactive, parfois avant même que la personne elle-même n’en ait conscience.
Conclusion
Les recherches françaises récentes confirment que le chien domestique possède une capacité remarquable à percevoir, à synchroniser et parfois à moduler les émotions humaines. Cette empathie, dont les racines sont à la fois biologiques et issues d’un long processus de domestication, n’est cependant pas une copie conforme de l’empathie humaine. Si le chien perçoit nos émotions et y répond de façon adaptée, il reste difficile d’affirmer qu’il les « comprend » au sens strict du terme. Quoi qu’il en soit, cette proximité émotionnelle unique continue de nourrir le lien exceptionnel qui unit l’humain à son plus ancien compagnon.
1998 : Florence Gaunet (CNRS) met en évidence la détection de l’attention humaine par le chien.
2014 : Carine Savalli Redigolo (Université Paris-Nanterre) démontre la discrimination des émotions faciales humaines.
2016 : Ludovic Sevin (Université de Lyon) étudie la reconnaissance de l’intonation vocale.
2017 : Valérie Dufour (Université de Rennes 1, CNRS) prouve la contagion émotionnelle mesurée par le cortisol.
2019 : Aurélie Brunelle (ENS Paris) teste les comportements prosociaux face à la détresse humaine.
2020 : Hugo Cousillas (CNRS) questionne les limites de l’empathie canine.
2021 : Séverine Pillard (CHRU Montpellier) étudie les apports des chiens d’assistance auprès de publics en difficulté.
Bibliographie sélective
Gaunet, F. (1998). Les chiens et la détection de l’attention humaine. CNRS, Gif-sur-Yvette.
Savalli Redigolo, C., et al. (2014). Discrimination des expressions faciales émotionnelles humaines par le chien domestique. Université Paris-Nanterre.
Sevin, L., et al. (2016). Reconnaissance de l’intonation vocale chez le chien. Université de Lyon.
Dufour, V., et al. (2017). Contagion émotionnelle et synchronisation hormonale chez le chien domestique. Université de Rennes 1, CNRS.
Brunelle, A., et al. (2019). Comportements prosociaux canins face à la détresse humaine. Institut Jean Nicod, ENS Paris.
Cousillas, H. (2020). Limites et portée de l’empathie canine. CNRS.
Pillard, S. (2021). Chiens d’assistance et bien-être émotionnel. CHRU Montpellier.
Pouydebat, E., et al. (2015). Lecture des émotions humaines chez les chats domestiques. Muséum national d’Histoire naturelle.
Filippo Naso – Éducateur Canin - Méthode Zen Éducation Positive
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