La communication canine est un univers aussi vaste que fascinant. Si l’on pense spontanément aux aboiements ou aux postures classiques pour décrypter les intentions de nos compagnons à quatre pattes, la réalité est bien plus nuancée. Les chiens disposent en effet d’une palette riche et variée de moyens d’expression, qui témoignent de leur intelligence émotionnelle et de leur capacité à s’adapter à leur environnement et à l’humain. Des études pionnières françaises, telle celle menée par Patrick Pageat à l’École nationale vétérinaire de Toulouse dès 1998, ont mis en lumière la complexité de ce langage non verbal.
Les moyens de communication vocaux du chien : une partie visible de l’iceberg
Les aboiements occupent une place de choix dans l’imaginaire collectif. On les associe à la protection, à la peur, à la joie ou encore à l’excitation. Mais ils ne constituent qu’une infime partie des outils de communication du chien. Grognements, gémissements, jappements ou hurlements viennent compléter ce registre vocal, chacun porteur d’une intention précise. En 2014, une équipe de l’Université de Rennes, menée par la chercheuse Audrey Maille, a publié dans la revue « Behavioural Processes » une analyse acoustique des aboiements, soulignant leur diversité selon le contexte émotionnel.
L’aboiement : Il peut signaler l’alerte, l’excitation ou l’ennui. Sa fréquence, son intensité et sa tonalité sont autant d’indices sur l’état émotionnel du chien, comme l’a démontré l’étude du CNRS (2011) dirigée par Florence Gaunet sur la communication homme-chien.
Le grognement : Souvent perçu négativement, il exprime surtout un inconfort ou une gêne, et sert d’avertissement.
Le gémissement : Il traduit la frustration, la demande d’attention ou la douleur.
Le hurlement : Hérité du loup, il peut survenir lorsque le chien veut répondre à un stimulus sonore ou exprimer une détresse.
Néanmoins, réduire la communication canine à ces seuls sons serait occulter l’essentiel : les chiens sont passés maîtres dans l’art de la subtilité.
La richesse du langage corporel du chien
Au-delà de la voix, le chien mobilise l’ensemble de son corps pour échanger avec ses congénères, avec d’autres espèces et avec les humains. Les postures et micro-expressions jouent un rôle prépondérant, et ce sont souvent elles qui nous échappent. Les travaux de la vétérinaire et éthologue française Hélène Gateau, popularisés dans les années 2010 à travers ses interventions sur France 5, ont contribué à sensibiliser le public à l’observation fine de ces signaux corporels.
Les regards : Un regard fixe peut exprimer le fort caractère ou la menace, tandis qu’un chien qui détourne les yeux manifeste le calme ou la soumission. Les clignements de paupières ou l’intensité du regard sont autant de messages subtils, comme l’a mis en évidence l’équipe de Florence Gaunet (CNRS, 2012).
Les oreilles : Leur position, haute et dressée, couchée ou tournée vers l’arrière, renseigne sur l’état émotionnel : attention, peur, agressivité ou apaisement.
La truffe et le museau : Un museau plissé, une truffe qui frémit, des léchages de babines : autant de signaux souvent imperceptibles qui traduisent le stress, la curiosité ou l’apaisement.
La queue : Sa hauteur, son mouvement (lent, rapide, en cercle ou rigide) communiquent une palette d’émotions : joie, inquiétude, anticipation ou méfiance. L’étude de 2016 dirigée par Caroline Gilbert, à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, a analysé les corrélations entre mouvements de queue et émotions.
La posture générale : Dos voûté, poils hérissés, membres tendus ou détendus… Le corps du chien dévoile, à qui sait l’observer, ses intentions immédiates.
Les micro-expressions : le langage secret du chien
Les chiens possèdent la capacité d’exprimer par de fines contractions musculaires des messages qui échappent parfois à l’œil non averti. Ces micro-expressions, mobilisant les muscles du visage ou du dos, renseignent sur la disposition du chien à interagir, à fuir ou à jouer. Elles traduisent surtout une grande intelligence émotionnelle, permettant au chien d’adapter son comportement en fonction de son interlocuteur. En 2019, l’Institut français du comportement animal (IFCA) a publié un rapport soulignant l’importance de ces micro-expressions dans l’ajustement social du chien domestique.
Des études récentes en éthologie ont montré que certaines expressions faciales des chiens sont réservées à l’humain, notamment le fameux « regard de bébé » : sourcils relevés, yeux ronds et brillants pour attendrir et susciter une réaction empathique, phénomène décrit par Juliane Kaminski (Université de Portsmouth, mais avec la collaboration du CNRS) en 2017.
Les signaux d’apaisement du chien : un langage universel
Parmi les signaux subtils, il existe ce que l’on nomme les « signaux d’apaisement ». Ce sont des gestes ou mimiques destinés à éviter le conflit, instaurer un climat serein ou réparer la tension lors d’un échange. Certains gestes, comme se lécher les babines, bailler, détourner la tête ou s’asseoir soudainement, sont utilisés entre chiens mais aussi dirigés vers les humains. Ils traduisent une volonté de désamorcer une situation perçue comme stressante. La publication « Signaux d’apaisement chez le chien » par Turid Rugaas, traduite en France dès 2001, a grandement contribué à la reconnaissance de ces comportements auprès des éducateurs canins français.
La communication olfactive et tactile du chien : un monde invisible pour l’humain
En plus des signaux visuels et sonores, le chien s’exprime par le biais de l’odorat et du toucher. L’échange d’odeurs par le flairage, le marquage urinaire ou la transpiration des coussinets permet une transmission d’informations sur l’état émotionnel, le statut social ou la santé. Ce langage, inaccessible à l’humain, est toutefois primordial dans les interactions canines. Les recherches menées par le professeur Patrick Pageat, notamment son ouvrage « L’Homme et le Chien » (2006), ont mis en avant l’importance des phéromones dans le dialogue chimique canin.
Le contact physique – léchages, frottements, coups de museau – permet au chien d’entrer en relation, de rassurer ou d’affirmer sa place dans le groupe.
L’apprentissage de la communication : une affaire de contexte
Comme chez l’humain, la communication du chien se développe au fil du temps, au gré des expériences et des interactions. Un chiot apprend à décoder les signaux des adultes et à adapter ses propres messages. L’environnement, l’éducation et la relation instaurée avec les membres du foyer influencent aussi la palette expressive d’un chien. L’étude longitudinale menée par l’équipe de Florence Gaunet à Marseille (2013) a montré l’évolution des capacités communicatives du chiot selon la variété de ses interactions précoces.
Des codes encore largement méconnus
Malgré les avancées en éthologie, de nombreux aspects du langage canin restent mystérieux. Certains signaux subtils, en particulier les micro-expressions et la modulation des postures, échappent encore à la compréhension générale. Il appartient aux personnes qui côtoient les chiens de s’informer, d’observer attentivement et de respecter ces codes pour favoriser une cohabitation harmonieuse et enrichissante.
Conclusion
La diversité des moyens de communication chez le chien va bien au-delà des aboiements et des postures attendues. Regards, mouvements des oreilles, truffe frémissante, micro-expressions : chaque geste, chaque inflexion corporelle est porteuse de sens. Apprendre à les décrypter, c’est non seulement mieux comprendre nos compagnons, mais aussi cultiver une relation empreinte de respect et d’empathie. Dans ce dialogue silencieux, une infinité de nuances invite à l’émerveillement et à la découverte.
Filippo Naso – Éducateur Canin - Méthode Zen Éducation Positive
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